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Jouer du piano plus facilement...
10. Les secousses du bras
La vibration musculaire
Dans ce chapitre:

►10.1 En quoi consistent les “secousses du bras”?
►10.2 La vibration musculaire et les mouvements composés
►10.3 Erreurs pédagogiques, suite
►10.4 Comment effectuer des secousses du bras?
►10.5 Exemples pratiques
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lors de la première lecture, mais d’y revenir après avoir lu le chapitre entier,
si vous souhaitez acquérir une connaissance plus complète.
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10.1 - En quoi consistent les “secousses du bras”?
10.1.1Czesław Sielużycki range cette technique dans la catégorie des mouvements "bras-doigts". Il la définit comme "des impulsions verticales peu prononcées, mais importantes de l'épaule [plus précisément: les impulsions les plus perceptibles dans le bras - AW] qui se superposent sur son mouvement latéral et qui permettent d'accélérer, d'uniformiser les passages rapides, tout en ajoutant de la transparence et de l'éclat au jeu" (pour plus de clarté, j'ai résumé dans cette phrase quelques passages de la «Main du pianiste»). Pour Sielużycki, le domaine d'action des secousses du bras se résume à des passages rapides à deux notes ou à accords. Cependant, mon expérience indique (comme je vais le prouver par quelques exemples pratiques) que cette technique fonctionne tout aussi bien dans d'autres situations difficiles qui demandent un délestage de la main. Néanmoins, Sielużycki a tout à fait raison de souligner qu'"au cours de l'exercice* elles [impulsions] devraient être nettement plus importantes et fréquentes, c'est-à-dire synchronisées avec les mouvements respectifs des doigts [...]. Par contre, dans les interprétations excellentes, elles sont à peine perceptibles et plus rares, apparaissant tout les trois ou cinq intervalles seulement" (p. 305 - partie consacrée à l’Étude en tierces de Chopin).
*Les exercices en questions ne sont rien de plus que des passages rapides joués de manière staccato – cf. l'exercice pour l’Étude en la mineur de Chopin op. 25 n° 11, partie 8.5.3.2 (annotation personnelle, AW).
10.1.2Les "secousses du bras", appelées aussi par d'autres auteurs vibrations verticales, impulsions motrices, trémolos ou battements, constituent une série de très petits sauts du bras liés à la vibration musculaire, générée en quelque sorte par l'épaule. “En quelque sorte”, car c'est une impression subjective ressentie par le pianiste et sans aucun rapport avec la réalité, comme nous le verrons par la suite. On fait appel à cette technique pianistique avancée à chaque fois qu'il faut retirer rapidement et à plusieurs reprises le poids du bras du clavier (cf. "Impulsivité " - p. 7.3.3.1), c'est-à-dire pour effectuer le "vol plané" lisztien durant l'interprétation des passages rapides difficiles de virtuose.
Les rebonds rapides de la masse du bras (avec l’épaule) peuvent être exploités de différentes façons. Par exemple:
pour jouer des répétitions avec le même doigt (cf. p. 5.4),
pour jouer des passages rapides à double note ou à accord,
comme une base à des mouvements de projection et de rotation dans des passages rapides, des figurations, des trilles etc.,
et même pour amortir les accords fortissimo - cf. l'exemple vidéo du p. 5.5.3. Les secousses du bras qui amortissent ne sont pas absolument indispensables, mais elles sont très pratiques, car elles empêchent la frappe trop brusque (qui donne un son très désagréable) et les surcharges du bras.
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10.2 - La vibration musculaire et les mouvements composés
10.2.1Comment fonctionne la vibration musculaire?
Vous pouvez l'induire facilement en répétant et en accélérant au-delà de toute mesure un mouvement quelconque – par exemple en cognant une table avec un doigt. Lorsque la vitesse est modérément grande, tout se passe normalement, mais si l'on accélère davantage le mouvement, les muscles commencent à se contracter de plus en plus et, finalement, tous les mouvements se figent: les muscles qui fonctionnent de manière opposée (les synergiques et les antagonistes) sont tendus au maximum, ce qui a pour effet de réduire le mouvement du bras à une vibration, quant à la tension musculaire, elle donne l'impression que le bras est léger comme “une plume”. Une fois cette sorte de vibration primaire et chaotique correctement maîtrisée, elle pourra servir (selon Cz. Sielużycki):
aux vocalistes (vibrato de la voix),
aux violonistes (vibrato MG et trémolo MD),
ainsi qu'aux pianistes pour effectuer des répétitions avec le même doigt (vibration verticale), des trilles vibratoires et des trémolos (vibration rotative), ou encore des sauts en alternance (vibration latéro-rotative).

10.2.2Lorsque nous observons le bras en vibration d'un violoniste, nous ne remarquons ni la lutte des synergiques avec les antagonistes, ni aucun effort, mais juste un mouvement oscillatoire harmonieux et aisé. Il en va de même avec le bras du pianiste, même si en règle générale cela reste imperceptible: au fur et à mesure qu'une difficulté technique est assimilée, toutes les tensions excessives s'estompent et tous les mouvements facultatifs sont éliminés ou, du moins, fortement limités, pour ne laisser de place qu'à ce que Neuhaus appelait "le strict nécessaire".

10.2.3 - Les mouvements composés et apparemment composés
Des économies d'énergie et de temps peuvent également être obtenues grâce à une "stricte «séparation des fonctions» et la subordination de certains membres par rapport à d'autres" ce qui fait que le "mouvement auquel participent plusieurs segments d'un membre (ce qui donne l'impression que ce mouvement est composé), est en réalité un mouvement simple transféré d'une manière complexe vers les segments distaux [...]. La situation est semblable lorsque les rôles sont inversés. Les doigts deviennent alors les membres dominants, et les segments les plus proches coopèrent de manière à prendre une position confortable pour eux ou à les surcharger (selon Szczapow ce sont des mouvements auxiliaires, selon Gát - adaptatifs)". Les secousses du bras constituent, sans aucun doute, un mouvement composé. Néanmoins, la citation ci-dessus introduit le concept de "membre dominant" qui sera utile dans les points à suivre de ce chapitre.

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10.3 - Erreurs pédagogiques, suite

10.3.1Avant de parler plus précisément de la manière de réaliser des secousses du bras, nous verrons tout d'abord le fonctionnement des parties distales des doigts, c'est-à-dire de leurs extrémités, car ce sont ces parties qui sont ici (et dans la majorité des cas) dominantes. Et ce indépendamment de nuances. De nombreux pianistes se sont exprimés au sujet de leur activité, notamment Gát et Szczapow ou encore, parmi les virtuoses, Zimerman, entre autres.

Ces pianistes ont parfois fait des recommandations surprenantes. Ils ont conseillé, par exemple, de jouer “avec les doigts seuls, et surtout avec leurs extrémités”. En effet, les parties distales constituent les membres dominants, extrêmement importants, car ce sont eux qui produisent le son, mais ils sont, en même temps, très faibles et fragiles. Leur travail peut être comparé à la partie émergée d'un iceberg – un observateur peu attentif (aussi bien la personne qui joue que l'auditeur) pense qu'il n'existe rien d'autre au-delà de ce qu'il voit. Il serait tout aussi dépourvu de sens de dire que, par exemple, un boxeur ne se bat qu'avec ses poings seuls ou qu'un cycliste ne se déplace que grâce à ses pieds, etc...

Il ne faut pas voir cette question d'une telle manière. Un maître-virtuose peut se permettre de s'imaginer qu'il joue avec les “seules extrémités des doigts”, car ces dernières possèdent de grandes ressources techniques (“les arrières”) - auditives et musicales. En revanche, celui qui ne possède pas encore ces ressources ne doit même pas envisager de jouer avec les “extrémités seules”, car sans les arrières suffisamment fournies elles ne peuvent presque rien faire. Quant aux enseignants, ils ne doivent absolument pas conseiller cette manière de jouer à un élève se trouvant dans une étape trop précoce de son apprentissage. Il faut tout d'abord effectuer un énorme travail de base en créant la “partie immergée de l'iceberg” de notre technique – la question de la “première ligne et les arrières” est abordée à trois reprises dans l'«Art du piano» de Neuhaus.

10.3.2Par contre, ce dernier a omis de parler du travail des doigts (c'est-à-dire de la première ligne du “front”) dans une citation déjà mentionnée (cf. p. 5.4.3), où il conseille de jouer martellato “avec tout le bras qui forme - du bout des doigts à l'articulation de l'épaule - une branche solide, élastique, mais inflexible (sont exclus: les mouvements des doigts, du poignet et de l'articulation du coude*)”. Si cette “branche” doit être élastique, il faut qu'elle puisse être flexible dans une certaine mesure, car sinon d'où pourrait-il tirer son élasticité? Ce qui varie c'est le degré d'élasticité, qui peut être modulé par les fixations des articulations et réalisé par des mouvements actifs et passifs. Ces derniers, rappelons-le encore une fois, ne doivent pas être ignorés juste parce qu'ils sont invisibles.
*Ici, c'est ma propre traduction, celle du livre étant trop imprécise.
10.3.3Quelques pages plus loin, Neuhaus rappelle un conseil réellement génial:
Un des meilleurs conseils est celui de Liszt:
prendre un accord en rentrant légèrement les doigts vers la paume,
en évitant de les laisser tomber comme des bouts de bois sur le piano.
Heinrich Neuhaus - "L’Art du piano", p. 132, Éd. Van de Velde, Paris 1971
Ce conseil très pratique est facilement explicable du point de vue anatomique. Il existe deux façons de plier les doigts: en utilisant les muscles courts et/ou longs de ces derniers.
Photo 1a: doigts un peu pliés dans les “osselets”, les parties périphériques légèrement redressées.
Photo 1b (sous le curseur): un redressement du métacarpe (c’est-à-dire aplatissement des “osselets”) par les muscles courts fait plier les parties périphériques.
La spécificité du fonctionnement des muscles courts est telle, que le fait de redresser un doigt au niveau du métacarpe provoque un repli des parties périphériques (et vice-versa) - déplacez le curseur sur la photo ci-contre. Ce que Liszt appelle “retirer les doigts vers l'intérieur” est tout simplement un aplatissement du dessus de la main, qui engendre, en parallèle, un repli des extrémités des doigts.

Les deux conseils ci-dessus – celui de Neuhaus (10.3.2) et de Liszt (10.3.3) – trouvent une application bien plus large que le simple jeu d'octaves ou d'accords, et, en plus, il est possible de s'en servir simultanément. Les parties distales, en tant que membres les plus petits et les plus mobiles, doivent être toujours actives. Même lorsque l'on joue avec le “tronc” entier, c'est-à-dire avec les articulations périphériques des doigts fortement fixées (cf. l'exemple 10.5.1 ci-dessous), chaque touche, sans exception, doit être “prise” avec une éraflure minimale de l'extrémité du doigt. Dans le cas contraire, le doigt devient un “bout de bois”, ce qui réduit fortement la performance technique, un peu comme dans le cas d'une surcharge. L'exemple de Debussy décrit ci-dessous, tout comme le chapitre consacré spécialement à lui, l'illustrent parfaitement.

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10.4 - Comment effectuer des secousses du bras?

10.4.1Nous allons tout d'abord commencer par aborder cette question d'un point de vue théorique:
a) La condition préliminaire indispensable pour effectuer une vibration musculaire, et donc des secousses du bras, est une contraction forte et simultanée des synergiques et des antagonistes, dont nous avons déjà parlé ci-dessus, dans le point 10.2.1. Bien évidemment, cette contraction ne doit pas être continue, mais réalisée uniquement à l'instant où nous souhaitons effectuer la vibration. Cette recommandation doit être interprétée d'une manière flexible, car les contractions sont différentes et spécifiques pour chaque fragment musical.

b) Rappelons une fois de plus les propos de Cz. Sielużycki concernant les impulsions dans l'interprétation de l’Étude des tierces de Chopin: "[...] dans les interprétations excellentes [...] są elles sont à peine perceptibles et plus rares, apparaissant tout les trois ou cinq intervalles". En d'autres termes, si la technique est excellente il suffit d'une seule impulsion initiale donnée par l'épaule pour jouer une série composée de trois à cinq tierces.

b1) La réalisation correcte de l'impulsion par l'épaule est indiquée dans le point 7.3.3.1. Ici, je ne ferai que rappeler les dessins et la règle la plus importante: l'impulsion doit être dirigée, en quelque sorte, vers le fond du piano, comme le montre la flèche rouge sur le dessin n° 1 ci-dessous.

   


b2) Lorsque l'on joue une répétition, l'impulsion rappelle le mouvement momentané d'amortissement du bras, perceptible le plus facilement dans le poignet. Cependant, contrairement au legato (cf. la seconde partie du point 5.5.2), nous jouons ici presque toute la série le poignet abaissé▼. Ce n'est que sur le dernier son, intervalle ou accord répété que l'impulsion s'arrête et que le tandem bras-poignet remonte▲ pour revenir à sa position initiale, ce qui, compte tenu de la direction (dessin n°1 ci-dessus), donne un mouvement très efficace partant du bas, qui n'est pas sans rappeler un levier en action (flèches sur les dessins 5a et 5b sous le curseur, utilisées déjà précédemment dans la partie 6.4.3).p. 6.4.3). Ces deux mouvements impulsionnels du poignet, aussi bien le ▼ initial que le ▲ final de la série, génèrent une accentuation qui, du point de vue musical, peut être soit désirable, soit indésirable. Dans le second cas, il convient de masquer ces accents techniques. La connaissance de cette caractéristique des impulsions nous sera très utile lorsque nous aborderons la question du repos du bras durant l'interprétation de longues suites de répétitions (cf. ci-dessous - 10.5.3).

c1) Totalement à l'opposé des impulsions d'épaule, nous trouvons l'activité des extrémités des doigts, qui “prennent” les touches par de légers mouvements d'éraflure (cf. p. 6.2).

c2) Le travail des parties distales est assisté par des mouvements projectifs très délicats des doigts, qui ont pour origine les osselets métacarpiens. Ce mouvement donne l'impression à la personne qui joue que ses doigts se “répandent” sur le clavier. Certains auteurs le comparent au battement d'ailes d'un papillon. Pour Chopin, il était impératif que les doigts puissent retomber de manière légère et naturelle. Cz. Sielużycki consacre presque deux pages à ce mouvement projectif, dont voici la conclusion la plus intéressante: "Une contraction courte et énergique (mais pas forte) du fléchisseur du doigt [...] démarre le mouvement [...] Tous le reste se fait de manière passive, par la force de l'inertie liée à la chute du poids, en laissant les fléchisseurs se décontracter encore  a v a n t  la fin du mouvement". Pour mieux le comprendre, imaginons que nous avons à l'extrémité des doigts des boules de caoutchouc assez lourdes que nous lançons de près sur les touches, tout en gardant le métacarpe décontracté.

d) Les impulsions de l'épaule sont transmises vers le clavier par des mouvements projectifs* - un peu comme par une sorte de vague d'énergie transférée depuis l'épaule vers l'extrémité du doigt. Généralement parlant, cette transmission peut se faire de deux manières, en fonction de l'effort demandé par le texte musical:

d1) Soit à l'échelle 1:1, lorsqu'une impulsion unique de l'épaule induit un seul mouvement projectif* du bras, de l'avant-bras et de la main, en partant du poignet, afin de jouer une octave ou un accord unique. Nous avons ici affaire à un jeu issu du poignet, soit, éventuellement, de l'avant-bras ou du bras. Nous mentionnons donc le membre que nous considérons comme “dominant” à un point donné. Cette technique est plutôt lente et nous l'utilisons assez rarement, par exemple pour jouer de lourdes suites d'octaves ou d'accords.

d2) Soit à une échelle située dans la fourchette 1:2 - 1:5, lorsqu'une impulsion unique de l'épaule est “hachée” par un travail adéquat des doigts (qui deviennent alors les membres dominants), de la main et du poignet, afin de jouer toute une série de sons ou d'intervalles. Cette technique est utilisée lorsque la main devient trop lourde pour jouer des passages ou des répétitions rapides et légères**. Nous faisons appel à cette forme d'impulsions de l'épaule pour interpréter, par exemple, les répétitions de la Toccata de Debussy (voir l'extrait de partition ci-contre): la répétition des trois tierces de la MG s'effectue à l'aide des seuls doigts par une impulsion d'épaule unique et une seule projection du bras en partant du poignet. L'interprétation de ce fragment est décrite en détail dans ce chapitre.

*Le chapitre consacré aux mouvements projectifs est en préparation. En attendant, je vous conseille de lire les informations préliminaires sur ce sujet.
**Alors que la technique décrite dans le point d1 peut être comparée au fonctionnement d'un marteau-piqueur lourd, la technique d2 n'est pas sans rappeler celle d'un pic, dont le bec n'est pas seulement puissant et précis, mais aussi extrêmement léger.
10.4.2 - Erreurs et malentendus
Les secousses du bras sont l'une des techniques pianistiques les plus efficaces et les plus dignes d'intérêt, mais c'est aussi une manière de jouer qui peut être insidieuse, et ce pour deux raisons:
L'utilisation d'un membre actif trop imposant (point 10.4.1d) donnera un jeu lourd, c'est-à-dire trop lent et trop bruyant. L'exemple de Debussy, mentionné plus haut, illustre parfaitement ce problème. Sur la page qui lui est consacrée, il est possible d'entendre facilement cette erreur lors de l'écoute de certains échantillons (fragments de disques de pianistes renommés).
Chez les pianistes inexpérimentés, l'utilisation de membres trop imposants peut être due à une mauvaise interprétation des expressions “secousses du bras” et “vibration verticale”, car les vibrations ressenties pendant le jeu ne sont pas la cause, mais la conséquence d'un mouvement correctement réalisé. Voilà pourquoi il ne faut jamais se forcer à secouer l'épaule trop rapidement – c'est impossible à réaliser et voué à l'échec dès le début.
La raison en est la suivante:
Ce mouvement est conditionné par des impulsions initiales correctement réalisées, issues de l'épaule et dirigées vers le bas▼. Elles sont rares (cf. 10.4.1b) et restent presque imperceptibles pour le pianiste. Par contre, des répétitions rapides ou un trémolo réalisés par un bras tendu (cf. 10.4.1a) induisent dans celui-ci des vibrations secondaires, une résonance mécanique – les doigts après qu'ils aient rebondi du fond du clavier provoquent une sorte de retour d'onde multiple passant du bas du bras vers le haut▲. Ces vibrations secondaires sont clairement ressenties par l'interprète et ce sont elles qui ont donné naissance à l'expression “secousses du bras” prêtant à confusion. Lorsqu'il joue, le pianiste est incapable de déterminer la source de la vibration qu'il ressent – il faut le savoir et le prendre en compte.
Conclusion
Garder à l'esprit cette problématique de “cause / conséquence” peut faire épargner beaucoup de travail inutile consacré à la recherche à tâtons de causes de problèmes techniques. De toute façon, vous n'éviterez pas les tâtonnements, mais si vous commencez en ayant déjà une bonne préparation théorique, vous pourrez “prendre des raccourcis” et apprendre plus facilement les solutions techniques appropriées.
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10.5 - Exemples pratiques

10.5.1 Vidéo de Chopin: répétition des accords de la Polonaise en la majeur op. 40 n° 1 – exercices et mesures 12-15.
On utilise ici la technique décrite dans le point 10.4.1d2 - les accords sont joués en partant du poignet, mais la fréquence requise de répétitions est trop grande pour les exécuter à l'échelle 1:1 (alors une impulsion de l’épaule sur chaque accord). On joue donc ce groupe entier sur une seule impulsion de l’épaule. Cette impulsion est divisée (fragmentée) en accords individuels par l'activité invisible des extrémités des doigts, ainsi que par également une élévation invisible minimale et momentanée du tandem bras-épaule (une seule pour chaque série de répétitions - cf. p. 10.4.1b/b1/b2) – vous devez me croire sur parole, cela se produit ainsi. La formulation présente dans le point 10.4.1b2, “nous jouons toute la série le poignet abaissé” est valable, bien évidemment, pour les deux bras, mais sur la vidéo, ce n'est visible que sur la MG, car un abaissement trop important du poignet droit provoquerait la production de fausses notes sur les touches blanches (les doigts 1 et 5 jouent sur les touches noires). Cependant, un mouvement ascendant du poignet droit existe et fonctionne (les deux bras travaillent dans ce cas en parallèle, d'une manière identique), même s'il est réduit au strict minimum.

Si quelqu'un éprouve des difficultés à exécuter de manière cohérente les accords à cinq notes par le MG, il peut s'y entraîner en formant des combinaisons à deux notes (ex. avec les doigts 5+4, 4+3, 3+2, 2+1, 5+3, 4+2 etc.), à trois notes (ex. 5+4+3, 5+4+2 etc.) et à quatre notes. Il convient de veiller particulièrement à garder une utilisation “économe” de la profondeur du clavier, c'est-à-dire à ne pas permettre aux touches de remonter pleinement – cf. les bases du mécanisme de répétition au point 3.4.

10.5.2 Vidéo de Szymanowski: Étude en si bémol mineur op. 4 n° 3 – exercices de répétitions pour la MG dans les mesures 41-42.
C'est un exemple de répétition assez rapide de trois Fa par la MG. Les Éditions Universal (partition ci-contre - cliquez sur l'image pour l'agrandir) et PWM indiquent à cet endroit un doigté 321, ce qui laisse penser qu'il provient de Szymanowski lui-même. Autre preuve - un demi-soupir à la voie inférieure (bleu dans l’exemple ci-contre), servant uniquement à faciliter l'utilisation de ce doigté et sans utilité pour la réalisation de la répétition avec le seul pouce. Le doigté 321 demande une ouverture rapide de la main lors du passage du doigt 2 sur l'octave, ce qui semble trop énergique pour la nuance ppp requise. Voilà pourquoi je préfère décidément jouer ces trois notes avec le pouce uniquement. En cas de difficultés pour réaliser la répétition avec le pouce, il existe une manière alternative, qui consiste à jouer la seconde triple-croche avec le 2ème doigt de la MD. Cette façon de jouer est un peu moins adroite et moins “élégante” que le doigté 111, mais tout dépend de l'habileté et de l'habitude. Vous trouverez ici l'enregistrement en live de mon interprétation de cette Étude (plage n° 4).

10.5.3 -Séries longues et ininterrompues de secousses du bras
Elles sont présentes dans quasiment toutes les œuvres de virtuoses. Comme elles provoquent une surcharge importante et continue du bras, elles requièrent des mouvements de repos. Dans le point 10.4.1b2, j'ai dit que, lors d'une répétition, le poignet devait être maintenu relativement bas*▼ pendant presque toute la durée de celle-ci et qu'il ne remontait*▲ qu'à la dernière note (dans le cas d'un legato* c'est le contraire qui se produit). Dans les séries techniques très longues, appelons-les “infinies” pour simplifier, une légère oscillation verticale du poignet permet au bras de se reposer (“respiration”). Nous verrons sur les exemples suivants à quel moment elle peut être régulière et quel autre non.
*cf. p. 5.5.2 - bien évidemment, le poignet ne retombe et ne se soulève pas tout seul, mais il est élevé par le bras, lui-même tiré vers le haut par l'épaule. Pour faire simple, nous parlerons uniquement du poignet. Je ne reviendrai plus sur cela par la suite.
10.5.3.1Chopin - Polonaise en la bém. maj. op. 53, octaves de la MG dans la partie centrale
Les impulsions régulières (poignet tombant▼) se présentent au début de chaque groupe de quatre doubles-croches et produisent des accents délicats (il ne faut pas les exagérer). Les trois suivantes octaves du groupe sont jouées par un mouvement unique et continu très légèrement ascendant▲ du poignet, selon la règle décrite à la fin du point p. 5.5.2. Le poignet atteint son élévation maximale juste avant de jouer la quatrième et dernière octave du groupe, ce qui facilite le saut de quarte. Le mouvement descendant▼ qui suit, arrive donc encore avant la première octave de la quarte suivante, ce qui produit un effet d'amortissement et empêche l'exagération des accents mentionnés plus haut. Neuhaus qualifie une telle légère oscillation du poignet de “ligne ondulée” et la décrit à la page 105 de “L'art du piano” en tant qu'indication pour jouer les gammes. Mon enregistrement - plage n° 15.
N.B. Toute la technique pianistique repose sur l'utilisation de lignes ondulées du bras, plus ou moins régulières, qui proviennent de l'activité impulsionnelle de l'épaule, même si cela est moins visible qu'au niveau du poignet. L'utilisation de lignes brisées, quant à elle, est source de faiblesse technique et a une incidence négative sur la sonorité du piano, car les touches sont soit trop chargées, soit insuffisamment.
10.5.3.2Chopin - Étude des octaves op. 25 n° 10 (mesures 1-4)

Généralement parlant, les mesures 1, 2 et 5 s'interprètent par séries régulières de 6 octaves, et les mesures 3-4 par séries de 3 octaves. Cependant, dans les mesures 3-4, le déplacement des accents sur la dernière croche de chaque triolet provoque un décalage des impulsions sur ces accents, ce qui perturbe la régularité de l'exécution de la série.

Légende:
La ligne verte ondulée représente l'oscillation de l'épaule transmise sur le bras et le poignet.
Les accolades rouges marquent les parties ascendantes irrégulières et allongées d'une série
- impulsions des séries régulières
- impulsions des séries allongées (irrégulières)
- accent réalisé par la seule projection de la main en partant du poignet
La ligne verte est une représentation approximative des ondulations du bras. D'après ce graphique nous pouvons déduire que:
dans les séries composées de six octaves, l'impulsion de l'épaule correspond à la première octave de la série, mais les positions extrêmes du bras se trouvent autour de la seconde et cinquième octave. La réalisation d'un tel cycle composé de deux triolets évite au bras de se fatiguer, par contre, pour jouer chaque octave, il faut encore exploiter une sous-impulsion auxiliaire induite par des secousses du bras;
dans les séries composées de trois octaves, l'impulsion correspond aux octaves accentuées.
Les séries allongées, marquées par les accolades rouges, se trouvent à la frontière des mesures 2 et 3 (5 notes au lieu de 3) et celle des mesures 4 et 5 (3 notes au lieu de 2). Dans ce cas, l'oscillation (l'ondulation) du bras perd de sa régularité – la phase ascendante s'allonge, ce qui provoque une plus grande accumulation d'énergie potentielle, qui peut (ce n'est pas une obligation) servir à intensifier l'accentuation de l'impulsion suivante. Cependant, lorsqu'une telle phase allongée se présente, il faut soulever l'épaule (et avec elle tout le bras) d'une manière nettement plus “économe”, c'est-à-dire répartir la hauteur du soulèvement du poignet sur un plus grand nombre de notes, afin qu'il ne remonte pas excessivement.
Le dernier accent de la mesure 4est réalisé par la seule projection du bras en partant du poignet, exceptionnellement sans l'assistance d'une impulsion de l'épaule séparée. A l'origine de cette situation, la nécessité d'accentuer deux octaves voisines – la dernière de la mesure 4 (la#) et la première de la mesure 5 (si). Un tel compromis semble être une solution plus rapide et donc plus pratique comparée à deux impulsions indépendantes. De plus, il paraît plus logique de passer de l'introduction au thème par une impulsion unique donnée par l'épaule. Vous trouverez davantage d'informations sur la page intitulée "Comment travailler les Études de Chopin".
10.5.3.3Liszt - 6ème Rhapsodie hongroise, longues suites d'octaves pour MD et MG
Ici également les oscillations de l'épaule doivent être irrégulières, adaptées aux accents syncopés qui apparaissent au-dessus des octaves thématiques.
10.5.3.4Moussorgski - "Tableaux d'une exposition", trémolos pour la MD dans "Con mortuis in lingua mortua"
Dans ce cas, en revanche, les oscillations sont régulières (un cycle pour chaque noire), mais aucun accent n'est acceptable, même le moindre.
10.5.3.5Chopin - Étude en la mineur op. 25 n° 11 - exercices et mesures 5-12: voir ici.
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Copyright © 2012, Aleksander Woronicki
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